Le jeune homme qui attendait son père sur le quai de la gare est seul dans les rues de la ville. Son père est en prison. Une tempête gigantesque se lève. Les voitures stationnées se mettent à avancer toutes seules. Les toits, les murs des maisons s’envolent. Le jeune homme passe au travers des projectiles, devient projectile lui-même, atterrit sur un lit d’hôpital qui fonce comme un bolide à travers la ville. Le jeune homme fait face au vent, raide comme un piquet, les bras le long du corps, et finit par être emporté comme un brin de paille, un roseau. Il s’accroche à un arbre, mais le vent déracine l’arbre et les emporte tous deux dans les airs. Ce jeune homme qui n’a pas de qualités, sur qui tout glisse, qui est aussi résigné que résolu, est à présent comme un objet lancé à travers un monde absurde. La main qui tient la poignée dans son dos est si puissante, et lui-même semble si frêle qu’on le voit déjà fracassé. Et pourtant, au cœur de sa nature de projectile se tient son étrange détermination, son petit noyau réfractaire, et plus il ressemble à un objet, plus il devient humain.
Florence Seyvos, Le garçon incassable (éd. de l’Olivier, 2013).