Je me dis : on fait un emploi bien modeste de cette excursion dans le vivant. Dans ce clafoutis. Je sais qu’il est bien tard et je perçois le ridicule qu’il y a à réagir au dernier moment, mais maintenant je veux courir et sauter en tous sens, me répandre en logorrhées par les vallons et dans les villes, je veux tenir salon derrière des monuments, je veux boire et manger éperdument, je veux fuir par l’œil d’une tempête tropicale, n’être jamais plus d’une heure sans embrasser tendrement chaque partie du corps d’une femme, je veux voir les arbres d’au-dessus, mettre ma tête dans la gueule d’un fauve, me rouler dans le raisin avec des Chinoises, dormir dans un hamac accroché contre une falaise et puis serrer dans mes bras des chiens, des poules, des cochons, mettre sous ma chemise des hiboux et des sternes, je veux voir plus souvent les loutres, je veux me tenir contre les orques sous la glace polaire dans une combinaison de plongeur après quoi je veux revenir vers une femme qui se trouverait au bout d’une rue et l’embrasser longuement après quoi je veux revenir vers une femme qui se trouverait assise par terre au milieu d’un lieu et l’embrasser longuement après quoi je veux revenir vers une femme qui se trouverait à bord d’un train et l’embrasser longuement après quoi je veux revenir vers une femme qui se trouverait dans un autre train et l’embrasser longuement, également.
Bertrand Belin, Requin (éd. POL, 2015).