Quand j’ai revu Veronica au bureau, nous n’avons pas parlé de cette sortie. D’ailleurs, nous avons à peine parlé. Quelques jours après, elle est passée aux horaires de fin de nuit. On se croisait lors du changement d’équipe ; elle me regardait d’un air pincé qui disait : « Évidemment, nos relations n’ont jamais été autre chose et ça me va. » Je lui rendais son regard avec l’indifférence d’un enfant qui jette le carton après avoir bu le lait. On articulait un bonsoir.
Le sentier grimpe sur une falaise en surplomb. Le vent se lève. Une petite cascade déverse des eaux écumantes. Mes pensées s’envolent et planent un instant avant de sombrer et de se répandre comme de l’encre de seiche au fond de l’océan. L’obscurité contrebalance la lumière et la retient. Au fond obscur de l’océan, une méchante fille est couverte de fange noire et de serpents, entourée par des créatures hideuses qui lui jettent des regards pleins de haine. Elle croit que c’est sa beauté qui attire leur regard. Elle ne se doute pas qu’elle est tout aussi hideuse. La sueur dégouline en crachats sur mes flancs, sur mon dos et mon ventre. Ma fièvre monte.
Mary Gaitskill, Veronica (éd. de l’Olivier, 2008).