[…] L’événement eut lieu, un peu plus tard ou un peu plus tôt, et je n’en fus pas la victime héroïque mais un simple témoin. Comme pour le bras en écharpe de la gare de Lyon, je vois bien ce que pouvaient remplacer ces fractures éminemment réparables qu’une immobilisation temporaire suffisait à réduire, même si la métaphore, aujourd’hui, me semble inopérante pour décrire ce qui précisément avait été cassé et qu’il était sans doute vain d’espérer enfermer dans le simulacre d’un membre fantôme. Plus simplement, ces thérapeutiques imaginaires, moins contraignantes que tutoriales, ces points de suspension, désignaient des douleurs nommables et venaient à point justifier des cajoleries dont les raisons réelles n’étaient données qu’à voix basse. Quoi qu’il en soit, et d’aussi loin que je me souvienne, le mot « omoplate » et son comparse, le mot « clavicule », m’ont toujours été familiers.
Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance (éd. Denoël, 1975).