« Notre corps ne nous appartient pas »

« Notre corps ne nous appartient pas »

La class, photo © Ernesto Timor
Ghetto class, Fleury-Mérogis 2010.

« Notre corps ne nous appartient pas » : cette phrase brandie par les chefs court parmi les militants de base, elle traîne, elle circule. Vous n’êtes pas sûrs de bien la comprendre, d’en prendre vraiment la mesure, mais vous aimez l’absolu qu’elle désigne. La prison confirme cette dépossession, mais d’une tout autre façon : ton incarcération est le comble de l’aliénation, la taule est la continuation de l’usine, tu veux cependant l’aborder comme une épreuve ordinaire, presque anodine ou dérisoire, comme une occasion de t’aguerrir.
Depuis deux ans, depuis que tu es militant corps et âme, tu n’es plus tout à fait un individu. Ta vie singulière s’est effacée.
Tu te redis tout haut : Mon corps ne m’appartient pas.
Et aussi : Ne pas avoir peur de la mort.
Il y a dans ton activisme un certain goût du tragique. 

Jean-Pierre Martin, N’oublie rien (L’Olivier, 2024).

Afficher/masquer le bavardage...
Jean-Pierre Martin écrit de drôles de livres, j’avais déjà été transporté par son Mes fous. Celui-ci est un récit distancié, mais sans le moindre retournement de veste, de son épisode d’incarcération comme prisonnier politique, aux riches heures de la Gauche prolétarienne. Je n’ai pas fait de taule (ou en simple visite, comme au Monopoly) et je suis arrivé quelques années après dans le paysage politique. Mais je suis tout plein d’échos avec ce qu’il raconte de son lien ambigu à l’usine, au militantisme docile et farouche à la fois, à la rupture de ban familial, scolaire et social… de la construction difficile d’un jeune adulte révolté qui cherche imprudemment comment vivre…

La photo est une résurgence des Correspondances panoptiques que j’avais réalisées à la maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis il y a déjà longtemps, à l’extrême limite de mon penchant pour la photo sous contrainte…