Durant la journée, je trimballe des cageots, je trie des pommes, je sélectionne les beaux fruits pour les étalages, et les moches, les rabougris, les trop mûrs ou trop verts pour le cidre. Puis j’ôte mon tablier et je me rends à une répétition de théâtre, où j’interroge la finitude. Je m’assieds en tournant le dos au public, et je refuse d’enlever mon caleçon.
Jusqu’ici, j’ai réussi à m’opposer aux demandes de plus en plus insistantes de Sophie pour que j’ôte mon caleçon. Je n’ai pas le souvenir de m’être opposé aussi franchement à quelqu’un. En règle générale, soit je m’incline, soit je prends la fuite, soit je tâche de me faire oublier. Cette demande que je ne veux pas satisfaire marquerait-elle le début d’une émancipation ?
« C’est parce que tu en as une toute petite ? » m’a demandé Olivier. Je lui ai rappelé que lui non plus n’avait pas voulu jouer nu. « Ouais, mais c’est pas parce que j’en ai une petite. » Je l’ai assuré que je n’en doutais pas.
Sophie, sans doute déçue de notre frilosité, a évoqué la nécessité de se mettre en danger, de prendre des risques. « Si vous restez dans votre zone de confort, le spectateur aussi, et il ne se passe rien. Quand vous osez franchir une limite, je peux partir de ce que vous avez osé pour vous amener plus loin. »
Jean-Baptiste ouvre rarement la bouche. Il a cependant lâché qu’« un homme nu sur scène, mais c’est d’un convenu aujourd’hui », et Sophie a tressailli : « D’un convenu ? » Elle a dû s’asseoir, sans doute pour méditer le risque qu’elle courait de proposer du convenu. Et pour le moment, il n’est plus question de nudité.
Catherine Logean, Confessions à un ficus (L’arbre vengeur, 2022).