« Wolves : Behavior, Ecology and Conservation ». C’est un grimoire écrit petit, surchargé de savoirs microscopiques et d’humilités. (…) Quand je soulève ce livre, et sa masse d’informations infinitésimales, volontiers inutilisables, il pèse entre mes doigts comme la preuve émouvante de notre obsession empathique envers les autres formes de vie, de notre qualité diplomatique : des milliers de pages, des vies entières vouées à comprendre un peu mieux d’autres manières d’être vivant. Les traités d’histoire naturelle, certains livres de biologie deviennent autre chose que des sommes scientifiques. Ils sont chargés d’une portée politique inaperçue. Des grimoires diplomatiques, compilant maladroitement (et sur un ton faussement naturaliste qui trompe les auteurs eux-mêmes et leur sert d’alibi pour leurs passions louches) les manières de comprendre comment vivent et se tissent à nous les cohabitants de la Terre. Et, de là, les égards ajustés à établir envers eux.
Ils sont chargés aussi d’une tonalité affective nouvelle : un désespoir de comprendre ces aliens familiers, d’y accéder, qui ressemble à l’obsession avec laquelle un amant transparent observe l’être aimé, beau d’être concentré sur une tâche, occupé à vivre, inaccessible — en un mot, c’est de l’amour interspécifique non partagé.
Baptiste Morizot, Manières d’être vivant (éd. Actes Sud, 2020).