On s’est couchés tôt. Au milieu de la nuit, quand je me suis éveillé, en sueur, j’ai jugé rassurante la présence d’Antoine de l’autre côté du tronc. J’avais insisté pour avoir le canapé. J’ai regardé la nuit par la fenêtre, qui n’était pas occultée de rideaux. Noir total. Silence, aussi. J’ai été étonné de constater qu’Antoine avait installé des doubles vitrages. J’ai entrouvert la fenêtre, il faisait doux. J’ai rencontré le regard d’une chouette. Vague impression de déranger, j’ai détourné le mien. Le sous-bois bruissait. C’était la bande-son du passé. La nuit était ce que j’en voyais. Rien. Mais j’y étais. Ma jeunesse comme ce bruissement.
Au réveil, Antoine m’a semblé lui aussi revenir d’avoir vu des fantômes. Son air craintif au petit déjeuner, à base de biscottes, contrastait avec son assurance de la veille. Je l’ai soupçonné de se réadapter. Chaque matin, de se réadapter à cette vie. D’en refaire le choix. Une demi-heure plus tard, il m’a paru se réintégrer aux arbres. Je lui ai même trouvé un côté ligneux. La journée commence, a-t-il déclaré une demi-heure plus tard, sur un ton inexploitable, où je me suis demandé s’il mettait un défi. Je ne rate jamais les matinées, a-t-il poursuivi, la montée de la lumière. Du doigt, il a désigné les prémices d’une clarté. De là-haut, il semblait se comporter comme une vigie. On pouvait en effet se considérer à l’aube de quelque chose. La journée se profilait lentement, avec sa longueur probable, comme au départ d’une vie. L’ennui me saisissait, et j’ai repensé à Denver. Je me suis dit que c’était lui qui m’enfermait dans des non-lieux. Que c’était lui qui m’enfouissait. Me sont revenus des souvenirs de vie sociale où j’ai tenté de me reconnaître. D’autres paysages. Des villes lointaines. Je me suis demandé s’il existait quelque part une réalité.
Christian Oster, Massif central (éd. de l’Olivier, 2018).