Oui.
Je ferme les yeux. Souvenirs vaseux, idées fissures, charpie. Et à la fin des fins, c’est l’enfance qui remonte toujours, impérissable, reconnaissable, méconnaissable, sable, le marchand de sable va venir, tu te souviens quand tu dormais chez ta grand-mère, dans le grand lit d’adulte ? Dors, petit Pierre, dors. Pourquoi on dit sable pour sable ? Et qui a inventé le nom des choses ? Je suis minuscule, avec du sable plein les yeux, plein la bouche, plein les bronches, une méduse échouée au pied des falaises, palpitante, translucide, dans l’écume qui recommence à chaque vague, et tout le monde voit ce que j’ai dedans, pensées porcelaine, chansons fantômes, et les passants jettent des cailloux dans mon ventre gélatineux, dans mes cheveux d’algues rouges. Paquet de vent, bruine mauvaise. Ils rient de toutes leurs dents au matin qui brûle les couleurs de mon rideau, ils tournent comme des gnomes autour de moi en chantant à tue-tête « Où sont tous tes amants, tous ceux qui t’aimaient tant, jadis quand t’étais belle » —
Non !
Violaine Schwartz, Le Vent dans la bouche (éd. P.O.L, 2013).