Tous ceux qui t’aimaient tant…

Tous ceux qui t’aimaient tant…

Photo © Ernesto Timor - Les petites filles modèles
Décembre 2017, Lyon. Les petits lettrés.

Oui.
Je ferme les yeux. Souvenirs vaseux, idées fissures, charpie. Et à la fin des fins, c’est l’enfance qui remonte toujours, impérissable, reconnaissable, méconnaissable, sable, le marchand de sable va venir, tu te souviens quand tu dormais chez ta grand-mère, dans le grand lit d’adulte ? Dors, petit Pierre, dors. Pourquoi on dit sable pour sable ? Et qui a inventé le nom des choses ? Je suis minuscule, avec du sable plein les yeux, plein la bouche, plein les bronches, une méduse échouée au pied des falaises, palpitante, translucide, dans l’écume qui recommence à chaque vague, et tout le monde voit ce que j’ai dedans, pensées porcelaine, chansons fantômes, et les passants jettent des cailloux dans mon ventre gélatineux, dans mes cheveux d’algues rouges. Paquet de vent, bruine mauvaise. Ils rient de toutes leurs dents au matin qui brûle les couleurs de mon rideau, ils tournent comme des gnomes autour de moi en chantant à tue-tête « Où sont tous tes amants, tous ceux qui t’aimaient tant, jadis quand t’étais belle » —
Non !

Violaine Schwartz, Le Vent dans la bouche (éd. P.O.L, 2013).

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Après La tête en arrière, c’est le deuxième roman que je lis avec ravissement de cette Violaine Schwartz, une voix des Papous dans la tête. On y retrouve cette mordante narration de personnage féminin qui glisse de la dinguerie joyeuse à des gouffres bien pires, tout ça avec une langue terriblement musicale (normal, la chanson est son deuxième métier, et ce livre-ci fait des gammes autour d’une dangereuse identification à Fréhel la maudite).
Comment illustrer un texte pareil en s’interdisant aussi bien le cimetière Montmartre que les petits cauchemars de caniveau (et pourtant, comme la tentation est grande !) ?
Même sans lien de sujet évident, hormis la lecture, hormis l’enfance (ça fait déjà deux), cette image, gardée par devers moi depuis ma dernière visite aux vitrines miraculeuses du Musée de l’imprimerie de Lyon, renferme un peu les mêmes dosages que ces lignes pour ce qui est des manières d’époque, de l’enfance modèle, de l’ingénuité en danger ou de l’ironie bien troussée… Telles sont parfois mes étranges passerelles de bibliothèque !